dimanche 4 septembre 2016

Le guide de la "dé-complotisation" en 4 étapes

Voilà une fin de journée banale sous le soleil couchant de juillet lors de laquelle j'ai croisé, dans la rue, ce vieux pote d'enfance pour engager une conversation tout aussi banale.

D'accord, l'accroche de cet article ne fait pas rêver, mais attendez la suite...

En fait il s'agissait de se raconter nos nouvelles seulement. Mais comment ne pas aborder les attentats de Nice qui ont lieu deux jours plus tôt ?

Compatissant pour les victimes et déplorant tout le malheur du monde, voilà que mon interlocuteur lance : "mais t'as pas remarqué que les attentats ont toujours lieu vers les 13-15 du mois" ? À peine vous avez eu le temps de lui faire remarquer les 9 et 11 janvier que la référence à Alain Soral a surgi :

- "Il l'avait prédit dans une vidéo qu'il y aurait un attentat sur la plage. On sait qui gouverne aussi…".

La bouche bée, vous constatez que ce pote que vous appréciez est tombé dans le piège de la compréhension facile du monde, de la dissidence marketée, ou plus simplement : la théorie du complot. Puis là vous vous dites : "oh non putain pas lui".

Ce lui, on va l'appeler Paco. Et même s'il est peu probable que vous ayez un ami nommé Paco, vous connaissez sûrement un proche qui est tombé dans ce panneau. Que ce soit dans une secte, dans un réseau de vente plus ou moins pyramidale, dans un parti d'extrême droite, ou dans la fonction publique territoriale...

For de ce constat, vous allez devoir cacher votre gêne et votre dépit sous un linceul de compréhension et de pédagogie pour guider votre Paco précocement déscolarisé vers des sources d'information fiables et indépendantes. Voilà la marche à suivre :

Étape n. 1 : Ne vous empressez pas de parler et acquiescez au début

Tendez l'oreille, ayez l'air bienveillant et ne coupez pas la parole (sous peine de braquer votre interlocuteur). La stratégie est de lui faire savoir que vous êtes de son côté, sans pour autant "être formaté à la pensée du système".

Crédit : le Raptor dissident (youtube). A voir absolument.
Le but est de susciter la confiance, quand bien même la réaction naturelle à l'évocation de Soral en maître à penser serait : « mais non, ce tocard vit la dissidence sur son canapé rouge. Il dit que de la merde. C'est juste un Dark Michel Drucker sans son teckel ». Et s'il vous demande de définir la dissidence, sentez-vous libre de mentionner  Snowden pour les States et Raïf Badawi pour le Royaume. Des purs et durs.

Mais préférez dire/mentir : 

- "Je connais un peu Soral parce que je le suivait avant ; et clairement il dit pas des choses fausses en sociologie. Surtout quand il dit que la classe ouvrière est sous représentée au parlement et que l'homme est une sous-merde à cause du salariat et des embouteillages". Là, vous avez toute l'intention que sait récolter le démagogue. Puis vous enchainez : "mais quand il parle de politique internationale, comme de la Syrie et de la géopolitique du Moyen-Orient, c'est très approximatif". Vous entrez maintenant dans la zone rouge : vous contredisez sans ambiguïté le maître. Donc il faut passer à l'étape suivante.

Étape n.2 : Déconstruisez gentiment la doctrine du conspirationniste en misant sur le bon sens de votre interlocuteur

Vous savez, Paco est naïf mais il n'est pas débile. S'il s'est tourné vers un média alternatif, c'est qu'il s'intéresse aux choses de ce monde. Notamment à la chose publique. Il en a juste marre de voir Pujadas, normalement lecteur de prompteur en chef, militer inlassablement pour le patronat.

Concernant la Syrie, évidemment, on n'y est pas et on peut dire tout et n'importe quoi.  Donc il faut souligner une vérité incontestable sur un point pour en nuancer - les - vérités de ce thème sujet à désinformation massive :
Il y a effectivement des endroits
où c'est l'enfer sur Terre

- "La misère des Syriens est indéniable mais des gens font leur pub sur cette misère ; d'autres s'engraissent en essayant d'importer le conflit israélien en France pour exister. C'est ce que fait un mange-cailloux comme Soral. Le complot, c'est son fonds de commerce. C'est avec ça qu'il attire une clientèle mal informée et paye sa taxe foncière avec la youtube money. Il faut être très méfiant avec les informations d'Internet".

Votre argumentaire est lapidaire et sans concession.
Bravo ! Vous avez piqué la curiosité de votre interlocuteur en lui faisant du douter des origines du doute ; en le décomplotisant avec une autre théorie du complot. Et pour ça, vous êtes un génie. Mais attention à enchaîner rapidement ensuite...

Étape n. 3 : Partagez les sources d'information adéquats

Bon, une fois avoir mis Soral, à juste titre, sur le même plan que les pages Disclose.tv, fdesouche et la chaine "le secret des pyramides :le complot judéo-maçonnique", il vous faut maintenant manifester l'intention de développer l'esprit critique envers notre Pacolito. C'est pourquoi il est nécessaire de souligner que vos journaux préférés que sont le Monde Diplomatique, Médiapart ou Le Monde tout-court sont ceux qui lui donneront une analyse complète et très fine des choses. De la vraie informations d'experts, de professeurs et de praticiens, et non de déscos bac moins trois avec des compétences spé Média maker, ni de journalistes de plateaux qui ne sauraient même pas situer le Canada sur un planisphère.

Le but est que votre interlocuteur dépasse son raisonnement manichéen : "mais de quel côté il est ? Ni du mien, ni du leur. Alors peut-être qu'il/elle détient la Vérité".

Parce que oui, dire qu'il existe une information officielle à la botte du pouvoir semble être assez fantasque, mais il est flagrant qu'on ait une veille médiatique totalement soumise à la loi du marché avec le tryptique : divertissement/sensationnel/publicité. 

Donc ne pas dire :

- Les journaux c'est cher oui. Mais c'est comme le porno, il faut payer pour avoir de la qualité.

Mais préférez dire : 

Crédit : Ganesh2 (youtube)
- "Le Diplo sort tous les mois seulement et pour cinq euros t'as une bonne analyse de l'essentiel de ce qui passe dans le monde. Sinon le Monde-tout-court : pas la peine de l'acheter tous les jours, mais une fois par semaine c'est déjà très bien".

Attendez-vous alors à une once d'engagement de ce bon Paco à upgrader sa lecture.
Enfin bon, ce pote à qui j'ai présenté ce développement m'a avoué avoir apprécié la biographie de Césaire. Donc j'ai bon espoir...

Étape n. 4 : Complimentez votre interlocuteur pour son intelligence et son ouverture d'esprit

Ça peut paraitre paradoxal, mais il vous a écouté jusqu'au bout et n'a pas opposé une résistance propre aux esprits aliénés. Alors s'il admet que la réalité est plus compliquée que certains ne veulent le faire croire, et que chacun peut agir de son côté pour rendre le monde plus vivable pour tous, alors un encouragement se vaut.
Cette importance que vous lui conférez est la même que son employeur ignare ou que ses vagues connaissances abruties du quotidien ne lui donneront pas. 

Vous admettez qu'il n'est pas idiot et que vous même ne cherchez pas absolument à avoir raison. Seulement vous tentez de parler d'expériences et d'études qui vous ont amené à vous méfier du bonheur par la sur-consommation d'images et de produits. Cette tendance de masse qui conduit les plus politisés d'entre nous au dégoût tiré de ce gavage. Et forts de ce constat, les antisionistes, antigauchistes, antifascistes ou antireptiliens veulent leurs parts d’audience.


Ce n'est pas ce que vous ne savez pas qui vous pose des problèmes, mais c'est ce que vous savez avec certitude et qui n'est pas vrai. Mark Twain


À l'année prochaine pour un nouveau billet